Débardeur nuit

, par Simon o Tarsier

Où l’on dort les yeux ouverts.
Et la nuit tombe, et ne retient rien. Un corps à la nuit.
Ne retiens rien : même pas toi. Les corps reposent. L’un contre l’autre.
Lorsque tu tombes, lorsque tu chutes, elle ne fait plus un geste,
Plus rien ne te retient. Un doigt posé sur son sexe.
Et le silence. Désaccords tus. Changement de rythme.
Désaccordés. Mais le silence. Lèvres closes, qu’entends-tu ?
Et les draps du quotidien vous étouffe. On attend trop,
On n’espère plus. Il faut se relever, sans un geste.
Élaguer les silences, mais ça revient toujours. Mais la sueur.
Ou des sons désarticulés. Les corps reposent. Tu tombes.
Repose. Contre l’autre. Lorsque tu tombes, et que tu chutes,
elle ne fait pas un geste, non : elle voit un corps qui danse.

Où l’on fuit les yeux ouverts.
Des corps à débarder. Alors se mettre debout
Et marcher, tu te lèves, tenter d’atteindre le centre, marcher,
Avancer crois-tu, marcher pour se perdre jusqu’à l’aube,
Jusqu’au blanc de la nuit, jusqu’à la rive. Rythme tes pas.
Aussi loin que tu ailles, jamais assez loin. Jamais assez.
Les phares toujours te rattraperont, te dépasseront,
À intervalles réguliers. Des corps ou l’obscurité.
Sans t’épargner aucun naufrage, la lumière retrouvée.
Des nuques, des embardées, de la tendresse crois-tu, des bras,
Non : des échappées. L’obscurité, les défaillances,
L’éclairage public, les laveries automatiques,
Les vitres embrumées des bars encore ouverts,
N’y suffisent plus. Et te rattrapent. Des corps, l’obscurité.
Plus loin, l’obscurité. Plus loin. Jusqu’à la rive. Plus loin.
Jusqu’au pourtour. Jusqu’à la gare. Jusqu’au grand blanc. Plus loin.
Jusqu’à l’abandon du regard. L’hypnose du rythme des pas,
De l’asphalte, des moteurs déjà passés. Tu crois tomber
Mais tu files droit. Tu te perds, on te retrouve. Tu te perds,
Tu t’égares. Une main sur ta main. Saisi d’une douceur
À la nuque. Au plexus. Au bas-ventre. C’est un fil
Que tu tires. Il casse, cassera, l’usure. Tu temporises.
Tu te perds. Tu es perdu. Le rythme de l’insomnie
Te démantibule, tu n’es qu’un corps qui tombe, sans tempo,
Mal élagué, qui danse sans tempo. Ne te retiens plus.

Où l’on vit les yeux fermés.
Et tu les retrouves à l’aube, à mille lieux. Ils n’ont pas changé.
À chaque jour pareil, ils restent égaux à toi-même.
Les mêmes mâchoires tombantes. Les mêmes dents pour remâcher.
Les mêmes défaites. Blafards, convois de pluie. À débarder.
Trains de proximité, entre deux destinations connues,
Rabâchées. Sans arrêt. Servitude. Direct. Retard. Stop.
Ton temps aussitôt advenu, aussitôt perdu.
Ce qu’ils deviennent c’est une foule. Ce qu’ils deviennent c’est rien.
Ce qu’ils deviennent encore c’est une indicible colère.
Qui les tient. Qui te tient. Une chorégraphie d’impasses.
La colère du labyrinthe qui se referme. Sans issues.
Il n’y a qu’une façon de s’arrêter : des cris, du silence.
Pas de rives, des cris, juste le sol. Et tu es tombé.

Débardeur Nuit from clinamen.net on Vimeo.

P.-S.

La vidéo de Débardeur Nuit a été diffusée lors de la soirée “À nos 20 ans” de l’association Le Geste Apprivoisé, à Auch, le 19 mars 2016.